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Les géo-polymères

Le béton écologique de demain

Si la plupart des architectes adorent le béton armé, ce n’est pas le cas des architectes spécialisés en écobiologie de la construction.

Les qualités de ce matériau semblent évidentes, solidité, résistance à la traction, parasismie, simplicité de mise en œuvre, voire esthétique  (pour certains) et d’autres encore. En revanche les inconvénients liés à son utilisation sont eux, un peu moins visibles.

Le béton tel que nous le connaissons présente avant tout le défaut d’être dispendieux en énergie et de rejeter une grande quantité de CO2 lors de sa production. En effet, si les ingrédients de base du béton sont relativement anodins (agrégats, sable, eau), il en est un, le ciment, qui est gros consommateur d’énergie et encore plus gros producteur de CO2. Quant au sable de construction, il devient  une denrée de plus en plus rare…A tel point que des plages entières disparaissent pour satisfaire notre soif de béton.

Recette pour réaliser 1m3 de béton standard :

Agrégats (graviers) 48.4% 1175 kg
Sable 30.0% 730 kg
Ciment 14.4% 350 kg
Eau 7.2% 175 l
Total : 100% 2430 kg

Le mélange de ces composants est versé dans un coffrage ; une fois coulé, le béton doit  être vibré pour que soient garanties son homogénéité et sa répartition dans toutes les parties du coffrage. Trop humide le jour du bétonnage (pour nettoyer la bétonnière, il n’est pas rare que le bétonneur arrose abondamment la gâchée), le béton peut perdre jusqu’à 30% de sa résistance…

A ce stade, il n’est question ni d’addition de produits plastifiants, de retardateurs de prise ou d’adjuvants quelconques incorporés au mélange lors de conditions atmosphériques particulières.

Quant au béton armé, les fers  (environ 10% dans un béton armé) assurent la résistance à la traction tandis que le béton reprend les charges à la compression. Le duo fer – béton (matériau moins cher) permet  d’économiser l’acier qui est maintenu par le béton.

De fait, le béton reste un matériau high-tech qui est malheureusement souvent mis en œuvre sans toutes les  recommandations d’usage. Les conséquences de ces négligences se mesurent  en général trop tard lors d’une expertise pour malfaçon…

Au surplus, après une quarantaine d’années, il est fort possible que des bétons apparents soient carbonatés, c’est à dire que l’air pénètre par les pores du béton et que l’oxygène de l’air en se combinant avec le fer des armatures les fasse  s’oxyder et par voie de conséquence  gonfler ; le béton finit par éclater. C’est  précisément  ce qui s’est passé il y a quelques années avec les tours de Carouge, à Genève. La réparation de la structure  a généré des coûts importants pour l’entretien de ces bâtiments à mi-vie déjà.

Par ailleurs, pour démolir une structure en béton, il faut employer une grapeuse qui consomme aussi une énergie importante et les déchets sont difficilement recyclables.

On estime que le béton continue de durcir encore durant environ 250 ans avant de tomber en poussière. Les meilleurs bétons, pour autant qu’ils ne soient pas armés, ont une espérance de vie qui ne dépasse pas cinq siècles…

La production de ciment

Cette poudre grise utilisée tant dans la confection de mortier, d’enduits ou de béton joue le rôle de colle minérale. En calcinant du calcaire, on transforme les liaisons chimiques pour les rendre plus fortes mais ce procédé implique de grosses dépenses en énergie.

Dans un premier temps, le calcaire est extrait de la carrière. A ce stade déjà, on distingue deux qualités de calcaire naturel qui doivent être bien séparées : les calcaires superficiels (à forte teneur en silice, oxyde de fer et aluminium) et les calcaires de profondeur, plus purs (fortement concentrés en carbonate de calcium). Une fois les roches acheminées à la cimenterie, elles sont broyées dans des concasseurs successifs qui réduisent leur taille à moins de quatre centimètres de diamètre.

Les deux types de calcaires sont alors recombinés en fonction du produit final désiré. Des additifs tels que silice, oxyde d’aluminium ou oxyde de fer peuvent aussi être ajoutés avant le broyage en poudre fine. Ensuite, le mélange est porté rapidement à haute température pour en éliminer  le CO2 avant de subir une cuisson de plusieurs heures dans un four rotatif à haute température (1700° C), ce qui produit également un dégagement de CO2 important.

A la sortie du four, la poudre de roche s’est maintenant transformée en klinker qui est refroidi rapidement à l’aide de puissants ventilateurs. Pour retarder la prise du ciment, à ce stade de la fabrication, du gypse est incorporé et le tout est encore une fois finement broyé. C’est seulement au terme de ce long processus que l’on obtient  le ciment. Voilà pourquoi ce produit  ne contribue pas vraiment  au « développement durable »…

Dans un avenir proche peut-être, les géo-polymères  seront heureusement une alternative bien plus économique, durable et écologique que le béton actuel.

De la pierre reconstituée

En 1972, les recherches du Professeur Joseph Davidovits, un passionné de l’histoire de l’Égypte ancienne, l’ont conduit à élaborer un procédé qui permet d’obtenir une pâte de calcaire qui, en durcissant, imite à la perfection la pierre calcaire naturelle.

Ce procédé simple et économe en énergie, baptisé géo-polymérisation, est le suivant :

à du calcaire désagrégé on ajoute de l’argile kaolin; il suffit alors d’incorporer à ce mélange du carbonate de sodium,  de la chaux et de l’eau.

La pâte ainsi obtenue est  versée dans un moule en bois et tassée vigoureusement à l’aide d’un pilon en bois. Une fois démoulé, le bloc prend l’aspect d’une pierre naturelle taillée aux proportions du moule. Après trois mois, le bloc aura pleinement durci et peut résister à une charge de compression équivalente à 700 fois son propre poids (150 kg/cm2). Ce procédé ne requiert que très peu d’énergie et ne rejette pas de CO2 lors de sa réaction, il s’agit donc d’un procédé véritablement écologique avec une durabilité bien supérieure aux bétons utilisés habituellement…

Pour faire simple, le liant, c’est à dire la « colle géologique » ajoutée à l’agrégat calcaire est une combinaison d’argile kaolin, de natron (carbonate de sodium) et de chaux. Une fois l’eau évaporée, la réaction chimique produit un feldspathoïde plus du calcaire, soit de la pierre naturelle.

Recette pour réaliser 1m3 de pierre ré-agglomérée :

Agrégat (calcaire désagrégé) 70.1% 1 402 kg
Argile Kaolin 4.4% 88 kg
Chaux éteinte 2% 40 kg
Carbonate de sodium (natron) 1% 20 kg
Eau 22.5% 450 l
Total : 100% 2 000 kg

La construction des pyramides   « en pierre humide » ?

Quel architecte n’a-t-il pas été  intrigué  par les pyramides d’Egypte ? La construction de la première des sept merveilles du monde est abordée durant les études d’architecture et c’est bien souvent à ce moment-là que l’énigme commence véritablement.

Comment ont-elles été édifiées ?

Comment les bâtisseurs ont-ils fait pour gérer une organisation de chantier pharaonique (c’est le cas de le dire) ; une impressionnante quantité de matière extraite, acheminée et assemblée ; une grande surface terrassée et rigoureusement nivelée ; une précision dans les mesures, l’orientation et les alignements ; des assemblages hyper précis ; une échelle démesurée, … ? Et cela, sans même parler de la complexité de la géométrie interne, pourtant si simple en apparence.

Car en effet, les coïncidences sont bien trop nombreuses pour avoir été le fruit d’un hasard quelconque. Au regard des relations géométriques, mathématiques, physiques, astronomiques, géographiques et plus généralement de la somme des connaissances contenues simplement dans les mesures et les rapports de proportion de ces édifices, il semble manifestement que les anciens  aient encore beaucoup de choses à nous apprendre…

Si au cours de notre formation professionnelle nous avons passé en revue des quantités de théories sur la construction présumée de la grande pyramide, toutes plus originales les unes que les autres (« rampes », « morceaux de sucres », « leviers », « basculement », etc.), aucune ne semblait vraiment réaliste en terme  d’ingénierie.

Pour ma part, je ne puis me départir d’un article lu dans le magazine Science & Vie qui affirmait que les pyramides étaient construites en fausses pierres. Cette hypothèse fort intéressante émanait justement du professeur Davidovits.

Des nombreuses hypothèses de construction étudiées, celle-ci est, à mon sens, l’une des plus réalistes. Elle séduit et s’impose par sa simplicité, son pragmatisme et son économie de moyens. Si cette hypothèse dérange encore de nos jours c’est qu’elle confère aux anciens bâtisseurs des connaissances en chimie des matériaux (pour ne pas parler d’alchimie) et un haut degré d’érudition que notre propre civilisation n’a pas encore tout à fait atteint…

Le procédé constructif imaginé par le professeur Davidovits se déroule comme suit :

A l’aide d’outils en pierre, des ouvriers frappent les parois d’un oued (lit asséché d’une rivière) lors de la période sèche pour en détacher de friables morceaux de calcaire riche en kaolin. Dans des bassins remplis d’eau, le calcaire est mélangé au sel natron et à la chaux à l’aide d’outils en bois. Le mélange est ensuite acheminé à dos d’hommes dans des paniers tressés jusqu’au chantier. Sur place, la pâte de calcaire est versée dans des coffrages en bois, assise par assise et compactée pour améliorer la cohésion du mélange. Ce procédé présente l’avantage de ne nécessiter que peu de main d’œuvre, de permettre le travail sur une grande surface sans que les ouvriers se gênent et donc une progression rapide des travaux.

Si cette théorie explique aisément la logistique, les blocs de taille différente, la finesse et la précision d’assemblage entre les blocs, elle n’explique pourtant pas tout car la problématique d’ensemble demeure relativement complexe.

Pour les questions relatives aux angles de visée, aux systèmes de mesure, au percement  des galeries ou pour la mise en place des blocs de granit de plus de 60 tonnes qui constituent la chambre haute, entre autres; il reste encore bien des inconnues….

L’avenir rejoint le passé

Actuellement, le béton est sur-employé, même pour des constructions où il se révèle parfaitement inutile comme pour des villas par exemple. Pour les architectes spécialisés en écobiologie, la construction sans béton est encore délicate à promouvoir auprès des maîtres d’ouvrage ou même des maçons. Pourtant, il semble que le temps n’est pas loin où des immeubles entiers pourront être construits grâce aux géo-polymères.

Notre bureau travaille depuis un certain temps sur un projet de mur en pierre reconstituée comme élément porteur, décoratif et servant aussi de masse thermique radiante.

Les questions soulevées ne se limitent pas à la chimie des matériaux et à la reprise des charges. Il convient également de résoudre la question sismique. Sans armature, la solution la plus pragmatique s’impose sous forme de blocs de tailles et de formes variées assemblés un peu à la manière de Legos. Pour supprimer tout risque de cisaillement lors d’une secousse sismique, la technique consiste à interrompre au maximum les lignes de joints horizontaux.

Au final, l’aspect des blocs ressemble à s’y méprendre aux constructions de l’antiquité telles que celles que l’on peut observer en Egypte ou en Amérique latine. Décidément, ne fait-on pas que de réinventer la roue.

Le professeur Joseph Davidovits

Né en 1935 en France, Joseph Davidovits obtient son diplôme d’ingénieur-chimiste en 1958. Très vite, il se spécialise dans les polymères mais sa passion pour les bétons antiques le conduira à inventer la science des géo-polymères et à fonder l’institut éponyme.

Auteur de nombreux articles scientifiques et d’ouvrages spécialisés, porteur d’une quarantaine de brevets, il est du genre prolixe. Professeur universitaire en France, en Chine et aux USA, il est également récipiendaire de l’ordre national du mérite (France). Égyptologue de surcroît, il se fait remarquer pour sa théorie de la construction des pyramides par de la pierre ré-agglomérée qu’il développe dès les années 1970.

Il est devenu célèbre dans les milieux  de l’égyptologie ; son approche de l’histoire égyptienne se fonde sur ses propres traductions hiéroglyphiques teintées de ses nombreuses connaissances de la chimie des minéraux. Malgré la qualité de ses recherches, ses travaux sont paradoxalement rarement connus du public.

Note 1 : Pour approfondir le sujet, on lira avec intérêt le livre: La nouvelle histoire des Pyramides, J.Davidovits, aux éditions Jean-Cyrille Godefroy.

Note 2 : Pour mieux cerner la problématique géométrique de la Grande pyramide, nous  vous renvoyons à l’excellent film La révélation des pyramides de Pooyard et Grimault que l’on trouve facilement sur internet.